[Vu] « Châsse, a drooling lap ». Félix Touzalin active son installation pour interroger notre rapport d’usage et de fonctionnalité au monde !
L’artiste Félix Touzalin a présenté sa performance Châsse, a drooling lap lors du dernier Festival les Hivernales, à la Collection Lambert. Quand artisanat du métal fusionne avec les pratiques de la danse et du corps.
Vide et froid, ce plateau métallique ornementé des fleurs fanées est toujours exposé dans les espaces de la collection Lambert au sein de l’exposition « Revenir du présent, regards croisés sur la scène actuelle ». Tel un reliquaire ouvert et aplati, il énumère les mystères d’un passé inconnu, de la mort ou de l’invisible, déplaçant sa nature énigmatique dans de nouveaux espaces d’expérience et de présentation.
L’observation de cet objet intermédiaire entre le religieux et le sculptural soulève un certain nombre de questions. Comment la présentation muséale d’un tel objet ambivalent orienterait la façon dont le public en ferait l’expérience ? En quoi le public pourrait-il se l’approprier non seulement comme un objet représentatif et symbolique d’un culte mais comme une œuvre ouverte à la lecture, l’imaginaire et la sensibilité ? En quoi la matérialité « nue » de cette œuvre, pourrait-elle devenir un terrain d’exploration pour des expériences multiples, vécues ou fantasmées, sans imposer a priori un sens métaphorique ?
Ce plateau reste disposé à une activation attendue chaque jour, chaque heure, à un moment indéfini, pour rassembler des gestes, des sons, et des formes jusqu’alors inconnus. Ce carré d’exposition, petit territoire vierge et non cartographié, bouscule ainsi les rapports entre symbolisme et imaginaire, art et vie réelle. Qui pourrait monter dessus, s’y allonger, l’utiliser pour un banquet, comme planche à graver ou bien comme tambour d’acier pour faire vibrer des sons, des voix, des pas, des gestes ?
Lors du festival des Hivernales son créateur Félix Touzalin (sculpteur, artisan du métal et performeur) y est monté pour proposer une telle piste de lecture dansée, une activation performée sous le titre « Châsse, a drooling lap »…
Sous nos regards perplexes et ambigus, un pèlerinage à la matière, à l’art ferronnier, à ses pratiques du passé et leurs révisions dans le présent s’est peu à peu dévoilé. Un rituel d’émerveillement face à la puissance du fer, sa malléabilité et son rapport avec le corps et les émotions. Une chorégraphie basée sur la physicalité et la force métamorphosant du métier de l’artisan et de sa performance visuelle. Les habitudes et la mémoire deviennent des sujets de réflexion sur plusieurs registres, à travers cet objet religieux déconstruit, pour explorer la spiritualité dans la pratique artistique qui se trouve au-delà de formes et des techniques.
Tout au long de la performance, à la recherche de ce qui constitue le corps et de ce qui définit matière et matérialité par les enchâssements perpétuels entre corps et métal, biologique et minéral, une inquiétante étrangeté vocale et une étrange lenteur gestuelle ont fait vibrer ce socle, nous entraînant dans un état de lieux intime avec l’artiste pour découvrir la complexité de l’identité créative et la notion de l’artistique.
Félix Touzalin associe ses savoirs de sculpteur et d’artisan du métal aux pratiques de la danse et du corps pour créer des installations et des performances. Formé à l’école Boulle (2010-2015) en tournage sur bronze puis aux Beaux-Arts de Paris (2015-2020) dans l’atelier danse/performance d’Emmanuelle Huynh, il présente des œuvres sculpturales et performatives qui interrogent la vulnérabilité du corps et de la matière. Il a son atelier à POUSH à Paris, est enseignant dans l’atelier métal de l’ENSAAMA (école Olivier de Serres) et participe comme interprète à de nombreux projets chorégraphiques. Son travail individuel et collectif est régulièrement montré dans des galeries, musées, salles de spectacle, et festivals.
Interview de Félix Touzalin
Qu’est-ce qui te conduit à travailler les frontières entre matière et présence, entre corps et métal ? Pourrais-tu nous parler de cette rencontre ?
Il y a là pour moi l’opportunité d’un choc, d’une stupeur qui saisit, électrise, fait se redresser, tenir debout. On bute sur le réel toujours, mais on trouve à s’adapter, on fait avec, on s’installe dans un rapport d’usage et de fonctionnalité au monde. Mon corps est souvent tenté de fuir ce rapport, ce qui marche trop bien ; de se désolidariser d’un rapport fonctionnel à la matière. Ce goût pour l’abstraction, le monde des idées, n’est pourtant pas sans risque, celui de l’isolement. Tout mon parcours de formation, de l’artisanat d’art à la danse a été une tentative de rester au sol, en prise avec la matière, une belle matière. Le double travail du corps, celui de la danse et celui des techniques artisanales, mélange deux exigences de présence. Chez moi cette présence est d’ordre sensuel. Une rencontre avec la matière qui donne à éprouver nos sens dans leur rythme, leur lenteur, ou leur éclat, un étirement qui confine à l’extase. Spécifiquement, le métal a son poids, sa chaleur, son énergie, un électromagnétisme qui caresse, enveloppe, domine, charge, empuissance.
On dirait que tu amènes la danse au musée et la sculpture à l’espace scénique. Qu’est-ce que tu trouves intéressant dans cet acte de transgression des cloisons spatiales ?
Le terme de transgression est fort, je ne suis pas tellement sur cette ligne. S’il y a transgression elle est interne, de soi à soi, transgresser en son sein, trahir ce qui semblait stable, figé dans ma chair ou dans des représentations. L’espace de transgression de mes performances est donc sensorielle et intime. Pour revenir au sens de la question, en effet ce qui m’importe c’est de créer des continuums, des circulations, des lignes sans heurts, qui autorisent le mouvement, n’arrêtent pas, n’empêchent rien. Cela a avoir avec le flux, celui du corps dansant. Passer du musée à l’espace scénique et vice et versa c’est donc envisager l’objet d’art comme un mouvement continu, un process qui nous déploie, de ça aussi est faite la matière de l’œuvre.
Pourquoi as-tu choisi de travailler sur cet objet de culte, qu’est le reliquaire ? Est-ce que qu’il s’agit pour toi d’une rupture avec la figure traditionnelle de l’artisan du métal ?
Le reliquaire m’intéresse pour ce qu’il témoigne d’une histoire du métal qui à avoir avec le pouvoir. Le religieux et ses artefacts en sont une manifestation singulière. En effet, à la différence des armes, elles convoquent une puissance de l’éther, de ce qui n’est pas là, tentent d’articuler un cri vers le sacré. Cette présence portée vers l’absence trouve à s’incarner par une matière qui séduit, un bijou, un ouvrage chargé de décor. Cette « hyper-facture » c’est aussi la quête d’une « hyper- matière », d’une matière capable de ravir son observateur, de lui faire accéder à un autre plan perceptif et sensible, celui de l’invisible. Ce rapport à l’invisible, à l’absence qui fait place en soi, et qui creuse un espace inconnu, est fortement convoqué dans mon travail performatif. De mon corps j’essaie de faire une autre matière. Les gestes s’en trouvent impactés. De même, lorsque je fabrique mes sculptures en métal, il y a du sacré. Les gestes pour les produire sont chargés, instruits, d’une même émotivité. En ce sens, je crois faire rupture avec une figure traditionnelle de l’artisan dont le moteur productif est ailleurs.
Être à la fois artisan du métal et danseur contemporain nécessite des dépassements normatifs et représentatifs. Quels sont ceux-ci ?
Oui, et il y a là un nœud qui m’intéresse. Cette question a notamment à voir avec celle du genre je crois. L’appareillage culturel place l’artisan du côté de la virilité et le danseur du côté du féminin. Pourquoi ? Alors même que l’artisanat et la danse partagent un même goût pour le patrimonial, le répertoire, mais aussi pour la précision du geste, on se les représente comme très opposés sur le plan des logiques créatives. Je crois que cela tient à la représentation du corps. Le corps de l’artisan on ne le regarde pas, il n’intéresse que pour ce qu’il permet de produire tel ou tel effet dans la matière. Le corps du danseur, lui, est la matière créative même, il prend ainsi toute la lumière. Cette exposition ou disparition des corps raconte une séparation entre le faire et le représenté ; je me situe à l’endroit de leur réunion, et m’inscris ainsi dans un héritage de la performance qui a précisément décidé de placer le faire sous le régime représentationnel. Je montre ce que je fais, je suis ce que je fais, sans rien de plus.
*Activation performée de la sculpture de Félix Touzalin intitulée « Châsse, a drooling lap », à la Collection Lambert le 02 Mars, pendant le festival Les Hivernales. La sculpture est présentée dans le cadre de l’exposition POUSH « Revenir du présent », jusqu’à début Mai 2024.
*Prochaine activation performée le 10 Mai au Weiden Space à Düsseldorf.
Retour et propos recueillis par Iliana Fylla
Photo : ©David Giancatarina
Générique
« Châsse, a drooling lap », Installation et performance, durée 25min, Félix Touzalin, 2023.
Plaques d’acier, laiton argenté, étain, texte sur écran et bande son.
Chorégraphie et interprétation Félix Touzalin | Assistance à la dramaturgie Juliette Peres | Composition musicale Dahlia Rebecca (intro Jérôme Combier) | Collaboration costumes Dael.le Anselme | Recherches matière Zoé Wirgin.