[VU] Les Hivernales, une 44e édition riche en émotions
Avec ses 23 représentations, la 44e édition du Festival Les Hivernales a tenu toutes ses promesses. Une édition riche en émotions et en discussions. Retour.
Si l’on pouvait craindre un empêchement pour le public d’aller de spectacle en spectacle durant la 44e édition du festival Les Hivernales, qui s’est tenue du 3 au 12 février, il n’en a rien été. En effet, malgré la pandémie, le public a répondu présent sur ces 10 jours de danse.
Un festival à la programmation équilibrée
En proposant des grands noms et autres jeunes pousses de la danse, Isabelle Martin-Bridot, directrice du CDCN Les Hivernales, apporte au festival la matière nécessaire pour marquer les esprits. Cette édition à la programmation équilibrée fait la démonstration d’une affirmation des choix artistiques que la directrice défend et ce, pour le plus grand bonheur de son public.
Un fil rouge s’est déroulé tout au long de la semaine, celui du lien intime qu’entretiennent la voix et toutes formes de son avec la danse. De Wendy Cornu qui développe avec Volutes sa recherche son/danse à Boris Charmatz sifflant (photo ci-dessus ©Marc Domage), bon nombre de chorégraphes on fait dialoguer le mouvement avec la musique et parfois même le mot.
Notre trio gagnant
Durant cette édition, nous avons été marqués par la virtuosité de Jan Martens avec son solo hommage à la claveciniste Elisabeth Chojnacka. Avec Elisabeth Gets Her Way le chorégraphe et interprète donne vie aux notes de la claveciniste à travers ses mouvements exécutés avec méticulosité. L’ensemble est parfait: de la lumière aux choix télévisés projetés sur un écran en fond de scène, sans oublier les costumes de Cédric Charlier, tous plus fous les uns que les autres qui entrent en résonnance avec les morceaux dansés, rien n’est laissé au hasard. Jan Martens poursuit son travail chorégraphique et subjugue le public un peu plus avec chacune de ses créations. Il inscrit désormais son nom parmi les plus grands de la danse contemporaine.
Le Rideau d’Anna Massoni est une des belles surprises de ce festival. Il permet à la chorégraphe-interprète de développer toute sa danse avec élégance et humour. Et rappeler son nom en fin de festival permettait de voir briller dans les yeux des personnes des étoiles. Notre retour ici.
Les hypnotisants La Nuit et Sur le fil de Nacera Belaza, qui furent loin de faire l’unanimité le soir de la représentation, nous ont fait ressentir une vibration profonde. En explorant le mouvement de la spirale, la danse de cette immense artiste du champ chorégraphique contemporain devient viscérale. Elle donne à voir et à méditer sur l’image du vide, sur ce saut qu’il convient de faire pour se laisser embarquer par une danse quasi-hypnotique. L’atmosphère déployée invite au lâcher-prise, à accepter l’incompréhension et à ressentir au plus profond de l’être les lignes bouger. Pour celui qui le souhaite.
Voir et écouter
C’est à la chorégraphe Wendy Cornu que revenait l’ouverture de cette 44e édition. Volutes, nom qu’elle a donné à sa proposition, est une pièce fascinante à la construction chorégraphique savante. Elle y développe le rapport tridimensionnel son/interprètes/public avec habileté et sa danse révèle le pouls de la vie. Notre retour et interview ici.
La voix, il en était question chez Maxence Rey avec son PASSIO.PASSION à la Collection Lambert. La chorégraphe met en mouvement la poésie de Ghérasim Lorca. Avec une certaine théâtralité, elle fait résonner les mots du poème Passionnément sur une musique en live de Nicolas Losson dans le décor fantastique, ici, d’une œuvre d’Abdelhader Banchamma. Elle offre l’occasion au public de croiser cet immense poète et donne parfaitement corps à ses mots. Une belle proposition qui cueille son public invité, lui aussi, à dire ce Passionnément.
Le vaste plateau de la Fabrica accueillait Boris Charmatz et son solo SOMNOLE qui est une véritable prouesse physique. En effet, le chorégraphe siffle tout en dansant et ce durant tout le temps de la représentation. Son apparition se fait comme dans un rêve. Arrivé de nulle part, la blancheur de sa peau accentuée par une poursuite à la lumière crue, le fait apparaître presqu’irréel. SOMNOLE prend des allures de testament dansé. Il est un regard sur le passé pour celui qui va prendre la direction du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch. Boris Charmatz s’amuse avec espièglerie, perd son public pour mieux le récupérer lorsque le dialogue semble coupé, en sifflant toujours et dansant encore. Un moment qui s’inscrit durablement dans les mémoires.
Emanuel Gat présentait son LOVETRAIN2020 sur la scène de l’Opéra Grand Avignon. En prenant appui sur les chansons du groupe Tears For Fears, le chorégraphe internationalement connu poursuit son travail sur la relation musique/danse. Il n’était pas rare de croiser du public durant toute la semaine et l’entendre échanger autour de ce que certains appelleront une réussite et d’autres un loupé ! Notre retour ici.
Olivia Grandville et son Débandade font également partie des beaux moments de ce festival. Ici le voir et l’écouter prend également tout sons sens. Sur le plateau, 7 danseurs (Habib Ben Tanfous, Jordan
Deschamps, Enrique Martin Gìl, Ludovico Paladini, Matthieu Patarozzi, Matthieu Sinault et Eric Windmi
Nebie) et un créateur sonore-dj (Jonathan Kingsley Seilman) viennent nous entretenir sur la question de la masculinité. Sans tomber dans le cliché, le propos se développe sans anicroche, sans fausse note, sans faux pas et sans fausse parole. Car de la parole, il en est question tout le long de la proposition. Les 7 danseurs, des Messieurs tout le monde d’une beauté touchante, se livrent sur leur façon d’être et ce qui est constitutif d’eux. Ils vont de pas en pas comme ils vont de confidence en confidence. La chorégraphe cartographie une mappemonde de la masculinité et distille des clins d’œil tout au long de la pièce, avec notamment leur danse autour du podium qui nous a fait penser fortement à la Nelken Line de Pina Bausch.
Le plateau partagé
Parce qu’un festival doit donner de la visibilité aux jeunes créateurs, le plateau partagé permettait de croiser et de découvrir les propositions d’Ana Pérez, d’Alexandre Fandard et de Maxime Cozic.
Alexandre Fandard avec Comme un symbole se situe à la croisée du théâtre, de la danse. Il danse et interprète le jeune de banlieue et le magnifie visuellement. Le chorégraphe et danseur souligne avec justesse les états compulsifs de celui que l’on redoute et qui fascine sous ses différents aspects.
Maxime Cozic est un danseur assez fascinant. Le voir évoluer dans son solo à l’écriture précise permet de parier sur son futur. Ce danseur que l’on a pu voir chez Fouad Boussouf (Näss) met en scène son corps, dans une sorte de dédoublement de personnalité. Il danse, ses mouvements lui échappent et deviennent son maître.
À Ouvert aux Publics, nous connaissions la danseuse Ana Pérez. Il était temps de faire la connaissance avec la chorégraphe. Interprète des spectacles de Luis de la Carrasca, Ana Pérez présentait Répercussions. Dans cette pièce construite autour de la question de l’identité, elle déploie son langage qui prend racine dans le flamenco et qu’elle n’hésite pas à métisser avec des mouvements issus de la danse contemporaine. Sa gestuelle est une sorte de syncrétisme pris dans les deux disciplines dansées. De sa mère, Maria Pérez, elle puise le baile flamenco et de son père, Patrick Servius, l’esthétique contemporaine. La voix de ce dernier donne à entendre des extraits de son livre « La Terre qui vous manque » et vient souligner les interrogations que peuvent soulever nos questions liées à nos identités.
Avec Répercussions, Ana Pérez prend son envol. Elle danse avec fureur et se libère. Une chorégraphe et une interprète à suivre !
Sur l’ensemble de la programmation, nous avons également vu Passages de Noé Soulier. Retour ici.
Laurent Bourbousson
Visuel : Boris Charmatz dans SOMNOLE ©Marc Domage
Le festival Les Hivernales s’est déroulé du 4 au 12 février 2022. Les Hivernales en été se tiendront du 10 au 20 juillet 2022.