[VU] Le Festival Les Hivernales – CDCN : retour sur la 42ème édition

27 février 2020 /// Les retours
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À en entendre certains, la 42ème édition du Festival Les Hivernales, qui s’est terminée samedi 22 février en apothéose avec la création de Oüm de Fouad Boussouf, n’a pas été à la hauteur des attentes. Pour d’autres, elle a été réjouissante. Tour d’horizon des spectacles vus.

Voir l’entièreté d’une programmation, permet de prendre une photographie, à l’instant T, de ce que les créateurs proposent en rapport à leur discipline. Force est constater que la danse est réjouissante de par son aspect polymorphe.
Ce que l’on peut retenir, de cette édition, est la volonté, pour l’équipe du CDCN, de faire part de la diversité de la danse avec des propositions parfois radicales, entraînant des discussions passionnées entre les festivaliers. Et cela nous a particulièrement réjoui.

Aux Hivernales, des grands noms

Au moment de la lecture du programme, nous étions heureux d’y lire la venue de Christian Rizzo, du trio Mathilde Monnier – La Ribot – Tiago Rodrigues, de Cindy Van Acker et de Philippe Saire.

Le premier présentait une maison. Si ce dernier opus ne fera pas figure d’une pièce majeure dans le répertoire du chorégraphe, il n’en reste pas moins que le style Christian Rizzo est toujours synonyme de frustration pour les uns, ce qui explique quelques huées lors des applaudissements, ou d’enchantement pour les autres.
La dramaturgie de la pièce laisse une place immense à la contemplation, ce moment où l’on peut perdre le spectateur ou le toucher profondément. Construit comme un puzzle, une maison témoigne du savoir-faire du chorégraphe qui laisse à son public le soin de se projeter ou non. Il l’invite ici, à se frayer un chemin entre les habitants d’une maison imaginaire où il fait bon naître, grandir, vivre et mourir, pour mieux se regarder et regarder son monde. Une pièce vibrante aux résonances multiples. (voir Interview).

une maison ©Marc Damage

Please, please, please était le spectacle tant attendu de Mathilde Monnier – La Ribot – Tiago Rodrigues. Créée au Festival d’Automne à Paris, coproduite par Les Hivernales – CDCN, cette proposition est pour le moins surprenante. Surfant sur la vague écolo et du devenir humain, le texte de Tiago Rodrigues est le résultat d’une commande. Il est une succession de poncifs énoncés par deux grandes Dames de la danse contemporaine qui performent durant une heure. Mathilde Monnier et La Ribot semblent prendre un certain plaisir à se parler, courir, se mettre en mouvements et dépecer une structure qui prend toute la largeur de la scène. Un plaisir qui n’est pas arrivé jusqu’à nous.

Avec Ether, Philippe Saire donnait à voir l’histoire d’un couple dans un dispositif soulignant l’étrangeté de la pièce. Nous y avons vu une certaine violence des rapports amoureux, nous rappelant les féminicides. L’âpreté de la pièce se conjuguait à la beauté plastique de l’espace voulue par le chorégraphe (voir Interview). Le duo, composé de Marthe Krummenacher et David Zagari, a fait la démonstration que la danse pouvait danser le monstrueux.

La proposition de Cindy Van Ackert a été vue par Delphine Michelangeli. Shadowpieces et Knusa/Insert Coins relèvent d’une symbiose parfaite entre la musique, le mouvement et des interprètes virtuoses dans un environnement parfaitement choisi, la Collection Lambert (voir Choix instantanés).

Aux Hivernales, des bêtes de scène : Marthe Krummenacher et Nach

Nous avons vu la première chez Pierre Pontvianne (le sublime Janet on the roof) et Philippe Saire (le troublant Ether). Formidable interprète, Marthe Krummenacher excelle dans ses postures. D’une présence scénique forte, elle se met au service des chorégraphes et structure son interprétation jusqu’à faire oublier les heures de travail que cela a nécessité. Marthe est une interprète qui sublime les propos des chorégraphes.

Marthe Krummenacher dans Ether©Philippe Weissbrodt

Nach, future artiste associée du CDCN – Les Hivernales, a donné une suite à l’étonnant Cellule, qu’elle présentait alors aux Hivernales l’année dernière (à retrouver à Klap – Maison pour la danse (Marseille), le 10 mars prochain). Avec Beloved Shadows, c’est une Nach grandit qui apparaît aux yeux du public (voir Interview). Sa proposition transporte aux portes du désir, moment où le corps transcende une force intérieure pour en faire surgir l’être dans toute son ambivalence. On garde en mémoire son corps habillé par le rose des néons, moment d’une touchante profondeur duquel un érotisme certain s’échappe.
Même si l’on peut reprocher, parfois, un côté trop discursif à son propos, il n’en demeure pas moins que Nach a marqué le festival. Et nous avec !

Aux Hivernales, des expériences immersives

Deux propositions immersives invitaient le public à entrer dans la danse.
La première, Fool de la Compagnie F – Arthur Perole, avait pour cadre le Palais des Papes. C’est dans le cloître du Palais que les 6 danseur·se·s et une chanteuse (formidable Mélanie Moussay) attendaient leurs disciples, c’est-à-dire le public. Au son d’un gong, c’est une procession qui se mit en route vers le lieu où la transe collective devait avoir lieu. Avec l’aide de public partenaire, la compagnie a livré une danse endiablée, après 20 longues minutes d’attente, durant lesquelles on pouvait se sentir exclu à voir les interprètes à prendre du sol des pièces de tissus composant un échiquier. Cependant, le pari d’amener une majorité du public dans la danse-transe a été gagné, sans pour autant nous atteindre.

Le surprenant Caring Banquise de Mathilde Monfreux nous a emportés. La proposition s’étendait sur le premier étage de la Maison Jean Vilar. Pensée comme une exposition de postures corporelles relevant du care, le spectateur devait prendre le temps de se laisser happer, par cette expérience qui lui était donné de vivre, afin qu’il sorte de sa zone de confort. Des cartels, placés sur les murs, accrochaient le regard par leur blancheur dans la pénombre du lieu. Ils étaient autant d’invitations questionnant le rapport à l’autre et à soi. Invité à prendre partie sur les banquises pour éprouver des postures, être à l’écoute et ressentir la bienveillance, le public aventureux s’est laissé aller le temps de ce moment. Une certaine sensation pouvait alors s’emparer des corps. Celle de se sentir un peu plus vivant, un peu plus Être Humain.

Aux Hivernales, des nouveaux noms

Le duo terrible Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos (lire l’interview) ont présenté la première de Silver, une coproduction de Les Hivernales – CDCN. Nous avions vu leur précédente création Pa.Ko.Doble. Reprenant le même schéma que leur pièce précédente, le duo nous entraîne cependant dans des beaux moments d’échange de paroles autour de la figure de Caïn et d’Antigone. Un tour de force qui se termine par un match de badington laissant le public interrogatif sur les intentions louables de la proposition.

Aina Alegre présentait La nuit, nos autres. Nous l’avions vu lors de la précédente édition du festival Uzès Danse et ce que la proposition avait suscité s’est confirmé : un réel emballement pour le travail de la chorégraphe. Ici, trois identités communiant avec la nature. On pense à Isadora Duncan, à Nijinsky, à une danse de la réminiscence d’un temps lointain, à l’animisme aussi. Nous avons hâte de la croiser à nouveau. (voir l’interview).

Enfin, Fouad Boussouf, auréolé de son succès avec Näss l’été dernier, présentait Oüm sa dernière création et coproduction de Les Hivernales – CDCN. Inconnu jusqu’à l’année dernière dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, c’est le chorégraphe qui a fait se lever le plus de monde lors des applaudissements. Ode à Oum Khalthoum, Oüm invite le public dans un bar d’Egypte, là où musiciens et chanteurs se retrouveraient, le soir à la lueur de la lune. Un rideau de fils, derrière lequel viennent s’allumer et s’éteindre des ampoules, est une porte sur un passé qui se réinvente avec des danseurs assez exceptionnels dans leur ensemble (on retiendra particulièrement Nadim Bahsoun, Mathieu Bord et Mwenda Marchand). Faoud Boussouf parle d’amour, de tolérance, et fait résonner les mots de l’un des Quatrains de Omar Khayyam de manière formidable. Une création qui fait entrer le chorégraphe dans les pas des grands. (lire Interview).

À suivre, le retour Sublimes radicalités : Anne Massoni – Pierre Pontvianne et Mette Ingvarsten.

Laurent Bourbousson
Visuel : Caring Banquise ©Laurent Bourbousson

Le Festival Les Hivernales s’est tenu du du 5 au 22 février 2020 à Avignon.

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